mercredi 29 août 2007

La Biographie de Serge Gainsbourg de 1928 à 1991


La Biographie de Serge Gainsbourg, de 1928 à 1949.
Des parents unis et tendres, une sœur jumelle Liliane, deux aînés : Marcel (qui décèdera à l'âge de seize mois) et Jacqueline née un an avant lui, auraient pu faire de Lucien un enfant épanoui et heureux. C'est oublier les complexes dus à son physique et à sa timidité, mais aussi à un certain sentiment de superiorité, qui très tôt le mettront à part, à l'écart des autres...
ll naît le 2 avril 1928, à Paris, de Joseph Ginsburg et d'Olia Bessman. D'origine russe, le couple a fui la révolution bolchevique de 1917 pour venir s'installer à Paris avec les difficultés que connaissent tous les immigrés...Dès leur arrivée, Joseph gagne sa vie en jouant du piano dans les cabarets. Il connaît Gershwin, Chopin, Bach, Vivaldi, sur le bout des doigts, mais pour faire vivre sa famille il joue du jazz. Fou de musique classique, fou de peinture. Il ne rate aucun concert, aucune exposition.Il intéresse ses enfants à ses passions, et Paris regorge de sorties plus intéressantes les unes que les autres. Mais depuis sa fuite de Russie, il ne peint plus...A ses heures perdues il rejoue ses classiques, c'est ce qui fera dire à Serge :
"Mes premiers souvenirs furent esthétiques et musicaux […] Voilà déjà un prélude à ma formation musicale : le piano de mon père, je l'ai entendu chaque jour de ma vie, de zéro à vingt ans. C’est très important..."
Olia, est une mère, tendre et gaie, qui fait régner une douce harmonie et qui console souvent le petit Lucien lorsqu'il a reçu une correction paternelle. C’est que Joseph a parfois la cravache facile avec lui plus fréquemment qu'avec les filles. La famille habite dans le 9ème arrondissement de Paris, rue Chaptal, là, Lucien apprend le piano avec son père.

*de 1950 à 1958.
Ses premières chansons, Serge les composera vers l'age de 22 ans quand il occupe la fonction "d'éducateur" pour les enfants juifs et les jeunes rescapés des camps nazis, au centre de Champsfleur. Venu là dans un but purement alimentaire, il se prend au jeu, fait dessiner les enfants, leur fait des tours de magie, s'occupe de la chorale, il se montre doué pour captiver les jeunes pensionnaires. Il organise des veillées où il s'accompagne à la guitare et chante des chansons qu'il a lui-même composées.
En 1952 il recommence le circuit des boites et des bals, il s'éloigne de la peinture, se fait du "blé" en coloriant des photos noir et blanc pour les entrées de cinéma (1 Franc la photo) et peint des fleurs sur les meubles anciens pour en faire de faux Louis XIII…Joseph voit tous ses espoirs s'effondrer.
Pendant les vacances de Pâques 1954 il est engagé comme pianiste d'ambiance au Touquet, il verra son contrat renouvelé l'année suivante. C'est là qu'il rencontrera son futur arrangeur, Alain Goraguer.
En septembre il est embauché au cabaret Madame Arthur (cabaret fameux pour ses travestis) comme pianiste et chef d'orchestre puis son père lui décroche un autre engagement au Milord l'Arsouille. Un soir, il y rencontre Boris Vian :
"C'est en l'entendant que je me suis dit : je peux faire quelque chose de cet art mineur ?".
"Je pense que Serge et Boris sont frères quelque part : une même violence, une même retenue, un même mystère. Frères dans la dérision, la cruauté et la tendresse." dira Juliette Greco.
"Ce coup là, je change de nom. Lucien commençait à me gonfler, je voyais partout "Chez Lucien coiffeur pour hommes", "Lucien, coiffeur pour dames". […] Sur le moment, Serge m'a paru bien, ça sonnait russe; quant au 'a' et au 'o' rajoutés à Ginsburg, c'est en souvenir de ces profs de lycée qui écorchaient mon nom…".
Il ne supportait plus son prénom, mais ne voulait pas pour autant renié ses origines, finalement il opte pour "Serge" (comme Serge Diaghilev, Serge Lifar), mais il conserve une grande similitude pour son nom, dans le but plus ou moins inconscient de ne trahir ses parents qu'à demi.
"J'ai l'âme d'un déraciné slave enraciné ailleurs".

*de 1959 à 1962.
1959 est marquée par sa rencontre avec Boris Vian et Juliette Gréco. A propos de sa laideur, elle dira de lui :
"Moi, à l'époque je disais qu'il était beau. Je le trouvais beau. Ce qui m'a plu dans ses chansons, c'est lui.C'est un homme passionnant, séduisant, d'une grande tendresse. […] Il a eu une revanche exemplaire qu'il méritait grandement. Mais il en est quand même mort, de ce non-amour de départ".
Elle s'intéresse à ses compositions et se trouve désignée pour lui remettre le grand prix du disque de l'Académie Charles Cros, le 14 mars. Malgré cette distinction, et l'enregistrement d'un deuxième album chez Philips, le succès se fait attendre. A partir de Mars il entame une tournée en province et en Italie, toujours avec "Opus 109", qui sera un bide complet. Ses compagnons, Brel, Béart, Simone Langlois découvriront Rome, Florence, et l'histoire de la peinture, grâce à lui, guidés par son érudition, et sa passion pour cet art "majeur".
Au printemps il enregistre son 2ème album, Claqueur de doigt, avec Alain Goraguer et son orchestre. Sur la pochette, on le voit prêt à tout, avec à portée de main, un bouquet de roses et un pistolet.
"Celles à qui plairont mes chansons je leur envoie des fleurs, dans le cas inverse je fais marcher le pétard", précisent les notes de pochette, et le succès se fait attendre...
D'autant que Boris Vian, mort brutalement en 59 à l'age de 39 ans, n'est plus là pour le défendre. Le journal La France se plaint :
"Il a une voix agressive. Serge Gainsbourg est né sous le signe du bélier, toutes ses chansons attaquent, étonnent, scandalisent, font mal. […] (il) chante non pour le public mais contre le public".
En septembre Gainsbourg croise Brigitte Bardot en participant au tournage du film : Voulez-vous danser avec moi ? Il avait été choisi pour son physique grâce à la pochette de son disque.
"Il était dans le film exactement comme dans la vie. Même attitude, même manière de parler : son personnage un peu flou et dégingandé convenait tout à fait à ce qu'on cherchait".(Jacques Poitrenaud)
Son premier succès L'eau à la bouche sort en janvier 1960 avec 100.000 exemplaires vendus. Il n'abandonne pas pour autant le circuit des cabarets, son vieil ami Jacob Pakciarz décrit son comportement scénique avec une grande attention :
"Serge commence à chanter et par moments j'ai l'impression qu'il devient aphasique. Je m'en faisais pour lui parce que je l'aimais bien… Dans son tour de chant, il y avait des blancs, des temps morts, comme nous en avons tous, mais un peu trop lourds, un peu trop lents, et je m'angoissais, je me demandais : "Mais est-ce qu'il va continuer ?" Toute la nature de Serge est dans ces silences, je revoyais Lucien, le garçon que j'avais connu quand il avait vingt ans, à l'académie Montmartre, à qui il fallait arracher trois mots dans la journée. Ce style chuchoté, ce volume de voix à minima et à la limite du non-dit… Toute sa nature psychopathologique est là, dans ce désir de s'exprimer mais en retenant les choses, et en les lâchant par bribes, comme s'il concédait sa parole, du bout des lèvres, par opposition aux voix viscérales qui viennent des tripes et qui sont très populaires".
Heureusement on commence à l'apercevoir à la télévision de temps en temps.


*de 1963 à 1966
En fait, il souffre d'être différent, de n'appartenir ni au mouvement yéyé, symbolisé par Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Claude François, Françoise Hardy, Richard Anthony... ni au rock américain dont s'inspirent Les Chaussettes Noires ou Les Chats Sauvages. Il ne trouve pas sa place et sa maison de disque ne se prive pas de le lui dire! Philips lui reproche de ne pas être "dans le vent" s'ensuivent 6 mois de dépression pendant lesquels il ne pourra plus écrire une seule ligne.
Et pourtant dans un Discorama de juin 63, Serge va ignorer cette déferlante yé-yé et reprendre confiance en lui :
"La nouvelle vague, je dirai d'abord que c'est moi. Nouvelle vague veut dire qui est à l'avant- garde de la chanson.[…] Je ne tiens pas à mettre des "y" dans mon pseudonyme. […] … Mais ça ne me dérange pas. Je pratique un autre métier, ça (les yé-yé) c'est de la chanson américaine. De la chanson américaine sous-titrée. Moi c'est la chanson française. La chanson française n'est pas morte, elle doit aller de l'avant et ne pas être à la remorque de l'Amérique. Et prendre des thèmes modernes. Il faut chanter le béton, les tracteurs, le téléphone, l'ascenseur… Pas seulement raconter, surtout quand on a dix huit ans qu'on se laisse, qu'on s'est quittés… J'ai pris la femme du copain, la petite amie du voisin… ça marchera pas. Il n'y a pas que ça dans la vie quand même. Dans la vie moderne il y a tout un langage à inventer. Un langage autant musical que de mots. Tout un monde à créer, tout est à faire. La chanson française est à faire. Il faut plaire aux femmes d'abord puisque c'est la femme qui applaudit et le mari suit".
Amoureux, Serge doit l'être puisqu'il convole en justes noces, le 5 janvier 1964 avec une femme d'une grande beauté, Françoise Antoinette Pancrazzi, dite Béatrice.
"Avant le mariage on avait vécu à la colle et tout baignait : après, les choses ont commencé à virer au vinaigre : elle n'acceptait pas ce métier de rencontres…".
Au retour de son voyage de noces Serge entame la promo de son album charnière, au style épuré et dépouillé. Mais les ventes ne vont pas dépasser les 1.500 exemplaires.



*de 1966 à 1967
En 1966 Serge divorce de Béatrice puis se remet en ménage avec elle alors même que le divorce vient d'être prononcé.Il passe l'été 1967 à Belle-Île-en-Mer avec Béatrice et Natacha.
Son nouveau super-45 tours est publié en janvier 1966, dès le mois de mars il va se retrouver en tête des hit parades, Serge obtient enfin le succès et bénéficie du coup d'une certaine idolâtrie :
"J'étais un séducteur frénétique à ce moment-là : les filles faisaient la queue, si j'ose dire. C'est tout juste si elles ne se couchaient pas sur le pas de la porte en attendant leur tour. Certains jours j'en avais ras le cul et je décidais de ne recevoir personne : j'allais m'acheter des boîtes de conserve que je me réchauffais, je m'installais devant ma petite table portable et je me disais : "Enfin ! plus de gonzesses !". Deux jours plus tard, je recommençais".
C‘est le 12 avril de cette même année que le photographe Jean-Marie Perrier met en scène la fameuse "photo du siècle" pour le magazine Salut les copains en réunissant 47 vedettes de la génération yé-yé, dont Gainsbourg. Dans un collector sorti à cette occasion, on apprendra que la boisson préférée de Gainsbourg est le Bourbon au ginger ale, son hobby, les filles, son peintre favori Paul Klee, ses musiciens, James Brown et Igor Stravinsky, qu'il aime lire Nabokov.
En mai Serge participe au nouveau Sacha Show, il compose pour Michèle Arnaud et pour son fils Dominique Walter, pour Mireille Darc et pour Serge Reggiani (un album exclusivement consacré à Boris Vian) et une comédie musicale Anna qui ne fut rediffusée à la télévision qu'en 1990.
"C'est à cette époque-là que j'ai battu mon record d'insomnies voulues, dit-il, je n'ai pas dormi pendant huit jours. La nuit je composais la musique de ce qui allait être enregistré le lendemain. Le matin j'étais aux sessions en studio et l'après-midi je tournais […] Après ça, j'ai dormi 48 h non-stop".


*de 1967 à 1973
Il est très déprimé, très affecté, voire suicidaire. Il se retranche dans son pavillon de la rue de Verneuil, mais il s'affiche rapidement avec de jolies femmes et pousse le cynisme jusqu'à tenir un carnet dans lequel il leur attribue une note. Il ne s'attache à aucune. Il tourne aussi beaucoup pour le cinéma. C'est en tournant les essais pour le film de Pierre Grimblat, Slogan que Serge rencontre celle qui va désormais marquer sa vie professionnelle et personnelle, Jane Birkin. Elle a alors 20 ans, un bébé sur les bras, Kate, et vient de divorcer de John Barry, compositeur oscarisé. La prise de contact se passe très mal, Serge lui reproche de ne pas savoir parler un mot de français, elle se met à pleurer, il attendait Marisa Berenson pour lui donner la réplique, peut-être pour la séduire aussi, et il se retrouve face à une gamine inconnue!
En peu de temps ils vont s'apprivoiser pour ne plus se quitter pendant près de douze ans.
En aout, Jane part à Saint-Tropez pour le deuxième rôle féminin du film La Piscine, avec Maurice Ronet, Alain Delon, et Romy Schneider. Jane Birkin :
"Serge était jaloux de Delon, il le trouvait trop beau ! A Nice il a réussi à louer une voiture quatre fois plus grande que celle d'Alain.[…] Dans cette énorme limousine, très flash, on était obligés de pendre les couches de ma fille Kate, et puis il y avait le landau et la nurse, et Serge gémissait : "Ma belle voiture ! on dirait une caravane arabe ! …""
Françoise Hardy attend Serge à Paris pour travailler avec lui, après lui avoir écrit le texte magnifique de L'anamour Serge accepte de mettre ses mots sur une musique composée par un autre, ça sera l'énorme tube du tout début 1969 : Comment te dire adieu.
Ils partent au Népal tourner un film pour Cayatte: Les chemins de Katmandou. A leur retour ils s'installent au 5 bis rue de Verneuil, avec Kate Bary, la première fille de Jane, dans cette maison noire du haut en bas, véritable musée imaginaire, fouillis d'objets hétéroclites et précieux.
A la fin de l'année 1968 ils enregistrent ensemble, à Londres au studio Chappell, une nouvelle version du sulfureux Je t'aime moi non plus. Cette fois, le disque est commercialisé et la version de Gainsbourg-Birkin devient célébrissime, elle fait le tour des discothèques d'Europe et d'outre Atlantique.. Cependant, de nombreux pays interdisent le titre et Gainsbourg lui-même décide de le retirer du premier album qu'il sort avec sa nouvelle compagne. Serge et Jane deviennent un couple hautement médiatique, une période riche et heureuse commence enfin pour lui qui reprend goût à la vie et à la création. Il se consacre à sa vie personnelle stabilisée, et suit sa compagne sur la plupart de ses tournages.


Le 15 mai 1973, il a 45 ans, Serge bénéficie de son premier sursis, première crise cardiaque :
"Si elle est irréversible, (la maladie) je ne supporte pas. Je n'aime pas l'univers carcéral des hôpitaux et cliniques de luxe. Je me démerderai pour abréger l'affaire."
Mais vous savez bien que "l'homme est le seul animal sur cette terre qui sait qu'il va mourir et j'ai eu pas mal de sursis dans ma vie".
Il parvient à s'abstenir d'alcool et de tabac pendant les six à huit semaines qui suivent son hospitalisation... pas plus. Sent-il que l'étau ne va pas tarder à se resserrer?
Dans un entretien accordé à Michel Lancelot au mois de septembre, il fait le point :
"Quand tout va mal il faut chanter l'amour, le bel amour et quand tout va bien chantons les ruptures et les atrocités. Elle est la fille que j'attendais. Ça ne s'est pas su comme ça au départ, il y a eu une mutation en moi. Je pense qu'elle est la dernière, si elle me quitte… J'aime cette fille, je peux le dire, j'ai jamais dit ça de personne. […] J'avais quelques amis, j'en aurai un peu moins. Je deviens un peu plus difficile. J'étais déjà misogyne, je deviens misanthrope. Vous voyez, il ne me reste pas grand chose, mais il me reste des choses essentielles comme mes enfants, ma femme et la création. Ça continue. Avec l'esprit plus lucide et les mains qui ne tremblent plus, enfin presque plus. L'apport de l'alcool et du tabac sur l'intellect, pour moi, c'était très nocif. J'étais tellement saturé que je restais des nuits entières sans rien trouver. J'allais assez vite… donc j'ai vu beaucoup de paysages défiler mais j'ai accroché un platane, alors maintenant je sais que je suis légèrement blessé au cœur, j'espère que c'est pas très grave, que je pourrai survivre".
Fin septembre, il enregistre Vu de l'exterieur :
"je voulais être destroy sur la chanson d'amour mais en filigrane on comprend que la petite, je l'aime… je n'ose pas le dire parce que je suis un garçon extrêmement décent. En fait je suis indécent par ma décence".
En avril 1974, pour la première et dernière fois de sa vie, Serge appose sa signature sur un appel à voter pour un candidat, en l'occurrence : Giscard d'Estaing.
"Si j'ai soutenu Giscard, dira-t-il un an plus tard, c'est pour des raisons avouables. Je n'ai aucune sympathie pour Mitterrand. Il s'est mouillé dans le passé dans des positions trop équivoques […] Depuis longtemps, j'avais repéré Giscard d'Estaing comme un homme intègre et brillant. C'est tout… Je dois ajouter qu'il y avait pas mal de provocation volontaire dans mon choix, chose que je n'avais plus faite depuis longtemps". Puis il avouera plus tard : "Ben… j'ai fait une connerie. Je trouvais que Giscard était un bon ministre des Finances, un très bon lieutenant-colonel. Il s'est avéré qu'il était un piètre général".


*de 1980 à 1982
En janvier 1980, il donne 2 concerts à Bruxelles, véritables triomphes. Même succès à Cannes, au Midem où Europe 1 et Philips lui décernent disque d'or et disque de platine. Il publie un comte parabolique, Evguénie Sokolov.
"Evguénie, c'est un type qui se détruit sciemment parce qu'il veut la gloire et la gloire le détruit, donc c'est quelque part autobiographique" dit-il.
Gainsbarre a t'il détruit Gainsbourg ?
La gloire a t'elle détruit le couple mythique ?
En tout cas, Serge paye cher le prix de ses excès. Jane, le quitte en aout 1980, emmenant les filles Kate, et Charlotte. Au bout de 12 années de vie commune, ne supportant plus de le voir se détruire et se perdre, elle déserte la rue de Verneuil et le laisse plus désemparé que jamais.
"Jane est partie par ma faute, confiait Serge quelques temps après, je faisais trop d'abus, je rentrais complètement pété, je lui tapais dessus. Quand elle m'engueulait, ça me plaisait pas : deux secondes de trop et paf.. elle en a subi avec moi mais ensuite c'est devenu une affection éternelle. […] J'ai eu une fille en or mais elle s'est tirée. […] Elle m'a jeté et c'était bien fait pour ma gueule, puisque j'lui cassais la sienne".
Son chagrin est immense, il crève de ne plus voir ses enfants, il touche le fond.
Il se jette dans le travail : un album pour Jacques Dutronc, Guerre et pets, la musique du film de Claude Berri Je vous aime et un rôle aux côtés de Catherine Deneuve qui rappelle inévitablement son propre rôle.
"Claude Berri s'est inspiré de ma vie, d'une certaine façon. Dans le scénario, je fais souffrir Catherine. J'ai été méchant, moi aussi, très méchant".
Pour Catherine il écrit Dieu est un fumeur de havanes qu'il interprètera avec elle.
En 81, il lui écrit un album entier, Souviens-toi de m'oublier que Libération chroniquera quelques mois plus tard, assorti d'un calembour à la Gainsbarre :
"Deneuve ? non, D'occase !".
La réaction de Catherine à cette grossièreté sera télégraphique et sans appel :
"Vous ne serez jamais assez ivre à mes yeux pour justifier vos jeux de mots à Libération STOP Il faut savoir résister à certaines tentations STOP Vous ne pourrez jamais noyer vos regrets et malgré vos triomphes je sais que vous êtes inconsolable pour des raisons qui ont cessé de m'intéresser STOP J'avais de l'affection pour vous mais plus d'indulgence serait complaisant".




*de 1982 à 1985
Nouveau scandale, en janvier 82 lors de l'émission Droit de réponse animée par Michel Polac et consacrée à la mort de Charlie Hebdo, où Serge s'exhibe affublé d'un long ballon de baudruche qui sort de son pantalon tel un sexe démesuré, les chaises volent ainsi que les injures, Gainsbarre prend le pas sur Gainsbourg, le lendemain l'animateur fait des excuses au journal de 13 heures.
Depuis un an, il enchaîne les spots publicitaires, Brandt, Roudor Saint Michel, plus tard Lee Cooper, la Renault 9, les soupes Maggi. Il écrit des chansons pour Julien Clerc, Diane Dufresne. En mai 1982 Pierre Lescure, directeur des programmes de variétés à Antenne 2, lui remet un disque d'or pour Mauvaises nouvelles des étoiles. Puis Serge part dans la jungle tropicale gabonaise tourner Equateur dans des conditions climatiques pénibles. Francis Huster remplace Patrick Dewaere avec lequel Serge révait de tourner. Le film sera un échec commercial à sa sortie. Au festival de Cannes (1983) il se fait huer et chahuter.
Cette même année il devient parrain (ou papa 2 comme il se nomme) de Lou, la fille de Jane et de Jacques Doillon. Il s'enfonce dans la déprime, se "cuite" de plus en plus souvent, mais son inspiration est intacte, il est toujours très sollicité par les annonceurs : Gini (avec Bambou), Orelia (sorte d'Orangina américain), Palmolive (shampooing), Friskies (nourriture pour chiens) ou encore Roumillat (fromage) et Anny Blatt (laines).
Il compose deux albums, l'un pour Isabelle Adjani, l'autre pour Jane Birkin. Dominique Blanc-Francard :
"Il buvait beaucoup et il était déjà fortement imbibé en arrivant le matin. A l'époque de ces deux albums, il fonctionnait aux cocktails. Il emmenait un shaker dans sa mallette, il en préparait à base de bourbon, des trucs à dégommer un bœuf, il en buvait trois dans la journée, un dé à coudre aurait suffi à retourner le cerveau d'un être humain normalement constitué, lui les buvait dans un grand verre à bière. Ensuite il est passé au 102, il avait un verre dans chaque main pour faire la stéréo, mais ça ne l'empêchait pas de travailler".


*de 1985 à 1988
Au printemps 1985 Serge perd sa mère, Olia, âgée alors de 92 ans. Au même moment, sous l'œil attendri et admiratif de Serge, Jane Birkin monte sur la scène d'un théâtre pour donner la réplique à Michel Picolli dans La fausse suivante.
Depuis quelques temps Gainsbourg est l'invité rêvé des plateaux télé, doué pour provoquer des scandales qui font grimper l'audimat, il est de plus en plus souvent sollicité pour des émissions. Alors qu'il participe en direct à l'émission télévisée de Patrick Sabatier, au cours de laquelle il doit répondre aux questions souvent hostiles des téléspectateurs, il établit un chèque de 100.000 francs pour Médecins sans frontières et retourne l'opinion en sa faveur.
Le 19 septembre Jack Lang lui offre la croix d'Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres. Serge est particulièrement fier d’être directement décoré officier, et non chevalier comme Coluche ou Clint Eastwood. Michel Drucker :
"Gainsbourg a touché, surtout au cours des dernières années, la France profonde, celle de Coluche, parce qu'il avait ce côté clownesque qui plait aux blaireaux. Mais il n'a jamais cessé de séduire les gens plus exigeants, l'élite intellectuelle".
Puis il retourne à New York pour l'enregistrement de son dernier album studio, You're Under Arrest.
Du 19 septembre au 27 octobre, il remonte sur scène, au Casino de Paris accompagné de musiciens et de choristes américains qui ne le quitteront plus, il arrête complètement de boire, et se produit en province dans des concerts intitulés C’est ma tournée (23 dates en 26 jours!).


*de 1988 à 1991
Serge s'ennuie… Thomas Dutronc, 15 ans, lui tient compagnie de temps à autres… ainsi que ses amis fidèles : Jacques Wolfsohn, Jacques Dutronc. Enfermé dans son alcoolisme, en panne textuelle, en état permanent d'ébriété, il souffre de plus en plus d'angoisses liées aux affres de la création. Gainsbourg :
"Connaissez-vous le "Cocktail Désespoir" de Cocteau ? Je ne l'ai jamais essayé, faut pas déconner, mais voici ce que ça donne, je cite : "Remplir à moitié le shaker de glace et d'eau de cologne, mettre deux gouttes d'alcool de menthe de Ricqlès, un doigt de shampoing, secouer, servir mousseux avec des pailles dans un verre à dents".C’est superbe, non ?"
Au début de l'année 89 il est hospitalisé à cinq reprises, les médecins se montrent très alarmistes, et l'avertissent du risque de cécité qu'il encourt.
Au mois de Mars, il sort un album pour Bambou Made In China mais c'est un échec commercial. Bambou n'a aucune formation musicale et Serge est en panne d'inspiration.
Au mois d'avril il subit une ablation d'une tumeur au foie, l'opération dure plus de six heures.
"Il paraît que dans le bloc chirurgical j'étais le mec le plus courageux… C'est pas drôle les enfants, j'ai souffert dans ma chair, mais je suis stoïque. Quand je me suis réveillé après l'opération j'avais des tubes partout, dans le nez, dans le fion, dans les reins, dans la queue, mais en voyant tous ces fils, émergeant de l'anesthésie, j'ai eu un réflexe insensé : j'ai demandé : "On est sur scène ? Soundcheck ! C’est bon ? Où sont mes musicos ?"Je me croyais au Zénith ! ".
En mai il est l'invité de Nulle part ailleurs, sur Canal+, et apparaît en forme, gai, enjoué, vif, et… à jeun. Les médecins lui ont strictement interdit l'absorption d'alcool, il s'y tient, pendant quelques mois seulement.
A l'automne sort un coffret de 9 CD De Gainsbourg à Gainsbarre assorti d'une pub qui veut déjouer le destin : "Gainsbourg n'attend pas d'être mort pour être immortel".
Invité par Patrick Sabatier pour son émission Et si on se disait tout fin septembre, il avoue :
"Mon deal avec la mort ne regarde personne, que je reboive et que je refume, c'est mon problème".
Une semaine plus tard il entre en urgence à l'hôpital américain suite à un malaise cardiaque.

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